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Laboratoire d'Innovation des Acteurs des Politiques Publiques
16 avril 2017

Liberté pédagogique, sors de ce corps!

Le fonctionnaire français est prisonnier de son corps d'appartenance à la fonction publique. Tel un fantôme, il peut espérer  garder son âme, mais ne pourra jamais retrouver  son corps d'origine s'il lui vient la fantaisie de le quitter.

Cette assertion n'a rien d'une affabulation mystique d'un amateur de films d'épouvante, il s'agit bien de la condition singulière et originale du fonctionnaire. Prenons des exemples précis qui permettront de mieux comprendre ce que nous entendons par là.

Choisissons un enseignant du premier degré, qui ferait le choix de passer un concours pour devenir enseignant dans le second degré. Dès qu'il devient professeur certifié, et quitte la condition temporaire de stagiaire, il perd, de manière définitive, son appartenance au corps des professeurs des écoles. Dans le même mouvement, il se dépouille de toutes les savoirs-faire afférents à son ancien métier. Alors qu'il savait enseigner à lire aux petits écoliers du cours préparatoire ou la technique opératoire de la soustraction aux élèves de cours élémentaire, il devient définitivement un spécialiste de la discipline dont il a eu l'honneur de réussir le concours du CAPES. S'il perd  irrévocablement ses aptitudes initiales, la Nation et l'Etat font le choix, eux aussi, de se débarrasser des compétences originelles de leur agent.

Prenons d'autres exemples vécus.

Un fonctionnaire de l'équipement passe un concours d'enseignant, il se prive, et la Nation avec, de toutes ses capacités à construire des routes ou des ponts.

Un enseignant de technologie, aprés douze ans, dans un collège, voudrait travailler en lycée professionnel, ce que son concours, -et son corps d'origine-, lui interdit. Il faudrait repasser un autre concours et perdre la possibilité de revenir enseigner la technologie en collège. Il renonce et restera professeur de technologie. 

Une enseignante d'Allemand, fatiguée de devoir chaque année se battre pour maintenir son service et ses effectifs d'élèves dans son collège,  voudrait bien enseigner aussi le français. Elle renonce, elle aussi, car elle va devoir choisir entre sa discipline d'origine et les lettres qui la passionne pourtant.

Un formateur d'histoire géographie, reconnu auprés de ses collègues et de ses inspecteurs, passe le concours de personnel de direction. Il perd définitivement sa légitimité didactique dans sa discipline.

Une professeur documentaliste, passionnée et particulièrement compétente, après 17 ans de métier, fait le choix courageux de tout quitter pour passer le concours de professeur d'histoire-géographie. Elle ne pourra plus revenir en arrière dès qu'elle aura reçu son admission dans le corps des certifiés de sa nouvelle discipline ... sauf  à repasser le concours de professeur documentaliste!

La règle est la suivante: un corps et un seul, pour chaque fonctionnaire. Si cette règle protège et permet de placer -en principe- les bonnes personnes au bon endroit en séparant corps (compétences) et poste (fonctions), on en mesure le double désavantage pour les intéressés et pour le collectif: la perte définitive des facultés initiales et l'enfermement dans un corps qui ne permet plus de rebondir et d'aller voir ailleurs pour se renouveler.  On pourra objecter qu'il existe la possibilité du détachement, mais il s'agit d'une autorisation exceptionnelle et temporaire qui ne dispense pas du retour dans le corps d'origine ou bien, alors, de le quitter définitivement.

Au-delà de la restriction de la liberté des individus, ce système a des conséquences particulièrement néfastes en fin de carrière. Les directions des ressources humaines académiques doivent gérer un nombre croissant d'enseignants en grande difficulté. Il s'agit, bien souvent, d'enseignants âgés, fatigués de faire le même métier depuis des décennies, n'ayant pas eu la possibilité, le courage ou l'opportunité de faire autre chose. Faut-il craindre que nos deux enseignants d'allemand et de technologie, qui ont renoncé à leur projet, ne se retrouvent pas dans cette configuration dans quelque temps, n'ayant pas eu l'opportunité d'évoluer professionnellement? On peux le penser, d'autant plus que nous savons que les possibilités de reconversion à l'extérieur de l'Education nationale, se révèlent inexistantes.

Alors, faut-il mettre fin au système des corps et amener la fonction publique à adopter celui du contrat (ou compétences et fonctions sont mêlées)? Nous ne le pensons pas, car ce système est profondément ancré dans la culture professionnelle des fonctionnaires et détermine leurs efficacités individuelles et collectives. On sait aussi que toucher au statut des enseignants est un risque politique  coûteux et inutile, tant la profession se sent déjà dévalorisée. On peut, pour les mêmes raisons, s'interroger sur l'intérêt de créer un seul corps de personnel d'encadrement qui mêlerait personnel de direction et personnel d'inspection, comme cela est parfois préconisé. 

Nous proposons plutôt la création de corps, différents des corps d'origine -qui seraient maintenus- acceptant de cumuler les compétences. Nous préconisons la création de deux corps supplémentaires, l'un d'enseignant polyvalent, l'autre de personnel d'encadrement polyvalent. On y entrerait, en sortant de son corps initial, dès qu'on aurait acquis une deuxième certification professionnelle. Ainsi, notre enseignante d'allemand garderait la possibilité de pratiquer l'allemand comme les lettres, soit de manière successive ou simultanée. 

Les enseignants voulant entrer dans ce corps nouveau, pourront le faire, sous condition de diplômes, en étant dispensé des écrits, en passant alors les oraux afférents aux concours des disciplines qu'ils brigueraient. Le même schéma sera mis en place pour les personnels d'encadrement: un inspecteur pourrait devenir personnel de direction après passage de l'oral du concours, avec possibilité de revenir sur un poste d'inspection. La réciprocité serait valable pour un personnel de direction dans sa discipline d'origine. Les compétences seraient cumulatifs dans ces corps polyvalents. Les règles de mutations seront adaptés pour ne pas désavantager ceux qui auront le courage d'accepter une mobilisation cumulative de leurs capacités.

Cette réforme serait-elle marginale dans le fonctionnement de notre système éducatif? Nous ne le pensons pas car, à terme, cette nouvelle possibilité va concerner des dizaines de milliers de carrières d'enseignants. Facilitant le développement  des points de vue intercatégorielles, des perspectives d'évolutions et des nouvelles dynamiques personnelles, évitant la souffrance professionnelle, elle favorisera une gestion des ressources humaines plus dynamique. Celle-ci est perçue comme étouffante par de nombreux personnels, parce qu'elle est se révèle incapable d'offrir des perspectives, devenus nécessaires devant les difficultés croissantes des métiers de l'Education nationale. En sortant les enseignants de leur corps initiale, on évite d'en faire des fantômes, subissant leur fin de carrière, on redonne de l'ouverture et de l'air, de la liberté aux acteurs d'un système éducatif qui en a bien besoin.

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