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Laboratoire d'Innovation des Acteurs des Politiques Publiques
11 mai 2017

Pourquoi la mesure "12 élèves par classe en CP CE1" n'est pas la bonne solution?

Dans le programme du désormais président Macron, une mesure présentée semble particulièrement séduisante et a marquée les esprits: celle qui consiste à promettre "pas plus de 12 élèves par classe dans les CP et CE1 des zones prioritaires". Donnons raison au candidat Macron qui pendant longtemps semblait se méfier des promesses des candidats: cette mesure n'est pas une bonne proposition et nous allons ici le démontrer. Et proposer une autre solution plus efficace.

Commençons d'abord par en montrer l'intérêt: on sait que les fondamentaux de la lecture se jouent dans les toutes petites classes de l'école élémentaire. On sait aussi que personnaliser l'enseignement, avoir, pour le maître, davantage de temps à consacrer aux élèves qui rencontrent les premières difficultés, c'est justement éviter de perdre ces élèves là en étayant immédiatement leurs apprentissages les plus fondamentaux.

Et pourtant, cette mesure n'est pas la bonne solution pour plusieurs raisons.

La première provient d'une réalité que connaisse bien les enseignants qui travaillent en demi-groupe. Avec douze élèves, la dynamique de la classe est moindre. Dans les échanges collectifs, il y a moins d'élèves moteurs qui vont dynamiser le travail oral, moins de bons élèves pour aider les autres. Moins étoffé, le groupe est moins réactif, souvent amorphe. Les élèves les plus faibles ne profitent pas de cette dynamique et de la richesse d'une classe plus nombreuse.

A l'inverse, si l'enseignant dispose de davantage de temps pour s'occuper des élèves les plus faibles, il doit cependant "faire cours" au collectif des douze élèves. Or ce "faire cours" réclame à l'enseignant un temps et une énergie considérable qui accapare l'essentiel de sa volonté. Autrement dit, il va lui rester - à douze, vingt quatre ou trente élèves- très peu de temps à consacrer individuellement aux élèves les plus en difficulté. Si on fait un rapide et sommaire calcul, en considérant que sur soixante minutes, il en passe cinquante à "faire cours" et dix à aider les élèves les plus en difficulté. S'il a une classe entière et quatre élèves en difficulté, il dispose de deux minutes et demi par élève. Si on divise son effectif par deux, il a maintenant cinq minutes par élève. C'est mieux, mais est-ce suffisant pour repêcher les élèves naufragés?

Cette mesure, alors qu'une partie de l'opinion se plaint qu'il y aurait "trop de fonctionnaires" est très coûteuse: on double le coût salarial par classe. Elle va donc entraîner des résistances concrètes: l'alternance démocratique risque d'en faire une variable d'ajustement bien pratique et donc une mesure fragile, parce que remise en question à chaque fois qu'un gouvernement voudra faire des économies sur le nombre d'enseignants.

Décrèter le doublement des classes pour l'ensemble des écoles de l'éducation prioritaire va se heurter à la réalité concrète des territoires: que va-t-il se passer pour les écoles n'ayant pas de locaux  pour ouvrir une classe supplémentaire? Pour les municipalités qui ne voudraient ou ne pourraient pas faire les travaux pour ces salles de classes surnuméraires? Pour les écoles de centre-ville qu'il sera très difficile d'agrandir? Cette proposition va être inapplicable parfois, entraînant un sentiment d'injustice pour les parents d'élèves de ces écoles là.

En installant ce système dans les établissements de l'éducation prioritaire, on veux lutter contre les inégalités sociales. Mais, se faisant, on crée une nouvelle injustice. Pourquoi l'enfant de CP disposera d'un maître pour douze élèves alors que l'élève de l'école voisine, certes légèrement plus favorisé, ne pourra bénéficier que d'un maître pour vingt quatre élèves? Pour l'élève en difficulté de cette deuxième école, la mesure est injuste en réalité. On mesure ici toute l'ambiguité du zonage des politiques françaises d'éducation prioritaire depuis plus de trente ans: en voulant aider les territoires les plus difficiles, elles ont vu perdurer la ségrégation socio-spatiale.

Alors, monsieur le président Macron, ne regrettons pas d'avoir proposé cette mesure car son intention est excellente. Il suffit simplement de mettre davantage de souplesse dans son application en proposant plutôt de généraliser une autre politique, déjà en place et qui mérite d'être prolongée et étendue, dont les bienfaits répondent au souhait partagé de soutenir l'apprentissage fondamental de la lecture dans ces petites classes: celle du maître surnuméraire.

De quoi s'agit-il? D'affecter, dans chaque école, un maître supplémentaire qui se concentrera sur les classes de CP et de CE1 pour venir accompagner et aider les enseignants dans leur travail. Le dispositif est bien plus souple que le rigide "un maître pour douze élèves", laisse les équipes pédagogiques définir elles mêmes les modalités pratiques d'organisation collectives qu'ils veulent se donner. Il ne va pas créer des problèmes supplémentaires de locaux puisque le nombre de classes et de salles reste le même. Mais surtout, par rapport à l'objectif d'aider les élèves les plus en difficulté, cela sera beaucoup plus efficace. Reprenons notre petite arithmétique sur le temps consacré à aider individuellement les élèves les plus fragiles. Avec un maître pour douze élèves, nous avons montré plus haut que le maître disposait de cinq minutes par élève faible. Avec un maître supplémentaire dans la classe, celui qui fait cours peut s'y consacrer pleinement car le deuxième enseignant est pleinement disponible pour soutenir ces élèves en difficulté. Mais surtout le temps par élève passe à quinze minutes par heure! (pour quatre élèves en difficulté) Avoir vraiment le temps d'aider l'élève en étant déchargé du lourd travail du "faire cours" tout en gardant l'élève dans la dynamique du groupe classe, voici la mesure la plus efficace et la plus juste.

Et savez-vous quel est le pays qui la pratique le plus? La Finlande. Un hasard sûrement.

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